BOUSSA FROM THE NETHERLANDS
BERTILLE BAK
FEBRUARY 13 - MAY 12
JEU DE PAUME, PARIS
Je n’en suis toujours pas revenue
Je suis allée au Jeu de Paume
pour une autre expo
et j'ai fini au sous-sol
scotchée devant les écrans
de Bertille Bak
Et il y avait beaucoup d’écrans
Dans cette expo installation
Dans un triptyque de 2017
"Boussa from the Netherlands"
des femmes, au Maroc
décortiquent
pour une firme néerlandaise
des crevettes grises de la mer du Nord
Un univers glacial
blanc et bleu ciel
un travail
mains nues
autour de tables
Gestes répétitifs
en trois temps
Briser la nuque
sortir la chaire de la queue
jeter la tête et la carapace
Et puis recommencer
devant ces tas
de petites choses grises
Les femmes portent
des tenues typiques
d'abattoirs industriels
mais avec la particularité
de s'être nouées
des peaux de mouton jaunâtres
à l'avant et à l'arrière du corps
Des peaux que
l'on voit préparer
dans des bassins
peu ragoûtants
Et puis ces femmes
en djellaba
marchent dans des ruelles
avec des grands saladiers en email
remplis de ce qui semble êtres des crevettes
Mais qui ne sont que
leurs dépouilles
récupérées pour en extraire
LES YEUX
avec des ciseaux d'écolier
Petites boules noires foncées
sorties du gluant
mises sur une plaque
pour être cuites
dans un four collectif
Et ensuite
recouvertes
de vernis à ongle
vert, blanc, rouge et bleu
aux couleurs du Maroc et des Pays-Bas
pour être versées dans des bouteilles souvenirs
qui prennent place dans l'installation
"Boussa from the Netherlands 2"
Des bouteilles que je me mets
à examiner de près
en pensant aux yeux de crevettes
et au chipotage à la pince à épiler
pour les enduire de vernis
Des heures de travail qui se rajoutent
à d'autres heures de travail
pour accumuler des euros et leurs centimes
Et des crevettes qui n'ont même plus de yeux pour pleurer
Et des moutons qui n'ont même plus de peau sur leurs os
"Boussa from the Netherlands 3"
Un groupe de femmes voilées
vêtues de couleurs vives
parées de queues de sirène
assise devant un tableau noir
pour apprendre l'international
en NÉERLANDAIS
Ontwaakt! verworpenen der Aarde Ontwaakt!
Ontwaakt! verdoemd in hong‘ren sfeer
Reed‘lijk willen stroomt over de Aarde
en die stroom rijst al meer en meer
Sterft, gij oude vormen en gedachten
Slaaf geboor‘nen, ontwaakt! ontwaakt!
De wereld steunt op nieuwe krachten
begeerte heeft ons aangeraakt
Elles chantent le poing levé
ce texte à la phonétique
improbable
pour des non-autochtones
Je suis déboussolée
et je le serai devant chacune
des vidéos de Bertille Bak
Aimantée par
l'humour, la poésie
et l'esthétique
des installations et des images
uniques en leur genre
sauf peut-être un écho
avec Mon Oncle de Jacques Tati
J'expérimente aussi
une autre façon
d'être spectatrice
Activation
hypnotique
de mon cerveau
Est-ce possible?
M'enfin!
Mais je n'y crois pas!
Plus je regarde
(et je suis vraiment scotchée aux écrans)
plus j'ai l'impression
de rendre possible
ce que l'artiste
et les protagonistes
ont fabulé
pas pour réformer
un système
ABUS DE SOUFFLE
(titre de l'exposition)
mais plutôt pour avoir
profondément envie d'autre chose
I went to the Jeu de Paume
for another exhibition
and ended up in the basement
glued to the screens
of Bertille Bak
And there were a lot of screens
in this installation exhibition
In a triptych from 2017
"Boussa from the Netherlands"
women in Morocco
are peeling North Sea shrimp
for a Dutch company
An icy world
white and sky-blue
A bare hands' job
around tables
Repetitive gestures
in three steps
Breaking the neck
remove flesh from tail
throw away head and shell
And then start again
in front of these piles
of little gray things
The women wear
the typical outfits
of industrial slaughterhouses
but with the particularity
of having knotted
yellowish sheepskins
to the front and the back
of their body
Skins that
are prepared
in unsavoury basins
And then these women
in djellaba
are walking through
narrow streets
with large enamel salad bowls
filled with what appear to be shrimps
But which are actually
their remains
salvaged in order to extract
their EYES
with scissors
Little dark black balls
removed from the slime
placed on a plate
to be baked
in a collective oven
and then covered
with nail polish
green, white, red and blue
in the colors of Morocco and the Netherlands
to be poured into souvenir bottles
which take their place in the installation
"Boussa from the Netherlands 2"
Bottles that I begin
to examine closely
thinking of shrimp eyes
and the tweezing
to coat them with varnish
Hours of work that add up
to other hours of work
to accumulate euros and cents
And shrimps that don't even have eyes to cry
And sheep with no skin left on their bones
"Boussa from the Netherlands 3"
A group of veiled women
dressed in bright colors
adorned with mermaid tails
sitting in front of a blackboard
to learn The internationale
in DUTCH
Ontwaakt! verworpenen der Aarde Ontwaakt!
Ontwaakt! verdoemd in hong‘ren sfeer
Reed‘lijk willen stroomt over de Aarde
en die stroom rijst al meer en meer
Sterft, gij oude vormen en gedachten
Slaaf geboor‘nen, ontwaakt! ontwaakt!
De wereld steunt op nieuwe krachten
begeerte heeft ons aangeraakt
They sing with raised fists
this text
phonetically impossible
for non-natives
I'm disoriented
and I will feel the same
in front of all the videos
of Bertille Bak
Magnetized by
the humor, poetry
and aesthetics
of the installations and images
Unique in their kind
except perhaps an echo
of Jacques Tati's Mon Oncle
I'm also experimenting
another way
of being a spectator
Hypnotic activation
of my brain
Is it possible?
Come on!
I can't believe it!
The more I look
(and I'm really glued to the screens)
the more I feel
I'm making possible
what the artist
and the protagonists
have fantasised
Not to reform
a system
OUT OF BREATH
(the title of the exhibition is
ABUS DE SOUFFLE)
but rather a deep desire
for something else
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