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GENERATIVES, RITA MCBRIDE

10.11.23 - 17.02.2024

KONRAD FISCHER, DÜSSELDORF









On y entend seulement le léger bruit de la pluie venant de l'extérieur et qui résonne, ici, dans ce lieu aux murs blancs illuminés par des rangées de lampes TL. Nous sommes les seuls, ça me plait et j’ai l’impression que ça plait aussi aux autres. Après avoir jeté un bref regard sur ce qui m’entoure, j'essaye d’abord de situer un peu vers où je viens de monter. Je tente de me souvenir si l'endroit était agencé de la même manière la dernière fois. D’ailleurs, je ne sais plus trop ce que j'avais vu cette fois-là, seul, et ça fige mon esprit un instant. Je ne sais pas y mettre les bons mots, mais ce détail insignifiant qui renaît ici, c’est comme si ça ne fonctionnait que uniquement de cette manière, et que les prochaines fois - enfin sans autres visiteurs inconnus - je serais de nouveau seul.

Ensuite, j’ai l’impression que ce mur-là, qui se trouve à ma droite et où est accrochée une image encadrée par des figures, des silhouettes de plusieurs tailles - en fait, un même groupe composé de quatre silhouettes blanches sur fond noir, reproduit plusieurs fois dans une autre dimension - que ce mur-là, il n'y était pas. Mais je me demande pourquoi je m'attarde là-dessus, au lieu de m'intéresser au travail pour lequel nous sommes venus. Et c’est lorsque j’entre pleinement dans la pièce que j’aperçois un grand objet qui se trouve derrière ce mur, centré au début de ce long espace. Mon attention est finalement happée par la matière. Je contourne la pièce une fois, puis dans l’autre sens. Les bras croisés j’approche mon regard de certains recoins. Je défile la forme lentement puis je relève mes yeux sur Martin et sa veste de pluie en Gore-Tex bleu. Il a les bras croisés et se tient le menton. Derrière moi, j'entends le froissement léger d’une feuille de papier qui est retournée et en me retournant sur moi-même, je vois Hanna. Elle tient dans les mains quelques feuilles agrafées ensemble. On continue de circuler tranquillement tout autour de cet objet.

- J’aime bien la couleur, dis-je, en m’adressant à Hanna et à Martin.

- Oui, moi aussi, répond Hanna, mais également la forme, la texture. Son côté faux, aussi… Et t'as vu en dessous ? On voit là que c’est pas du vrai bois. - C’est évident au premier coup d'œil, je trouve, dit Martin. Le dessin du bois est trop régulier et évident, trop propre même. Ça a juste l’allure du bois, ce qui nous convint facilement, si on y prête pas attention.

- « Tulip Pulpit ». C’est le titre ! nous dit Hanna, et c’est écrit ici que c’est du bois stratifié.

C’est un pupitre à quatre faces, exagérément grand, comme une construction moderniste, ou constructiviste plutôt, de couleur rouge-foncé. On pourrait croire à une vision utopique tout droit sortie d’un rêve d’un avant-gardiste russe. Ici, un seul livre y trône : « Speech », de Rita McBride. Le même que celui qu’on trouve ici et là en librairie. Pour celui-là, l'idée de le feuilleter ne me vient pas. Pourtant, les conditions y sont évidentes, mais non… C’est Hanna qui le feuillette tout en le laissant posé sur le pupitre. D’une main elle tourne deux ou trois pages, s'arrête sur la quatrième, elle semble lire - ça se voit à ses yeux - un court instant, et referme le tout. Elle caresse la couverture, suit de l’index l'endossement rectangulaire où figure le titre, puis elle touche légèrement le point d'exclamation noir, lui, baignant dans un monochrome argenté. Martin, en face de moi, se tient dans le coin de cet espace, épaulé contre le mur près de la fenêtre. Il semble regarder le pupitre dans son ensemble, mais il donne l’impression qu'il pense à autre chose ou à plein de choses en même temps. J’ai l’impression que son regard traverse le pupitre, qu’il transperce toute la réalité devant lui pour imaginer quelque chose d’autres. Magali, elle, se trouve derrière nous, à quelques mètres d’une ouverture vers une salle voisine d'où je vois en sortir une haute et longue paroi lisse et légèrement enflée.

A hauteur de ceinture, à gauche dans la paroi, une niche s’y trouve, où une petite sculpture y est déposée. Magali se tourne vers moi et sourit d'étonnement. 

- C’est quoi ? me demande-elle, d’une voix un peu chuchotée, ou contrôlée dirais-je, comme si quelque chose ne doit pas être perturbé, comme quand on tâtonne un parquet trop grinçant, afin d’en effacer sa présence. J’opine de la tête d’un « Je ne sais pas » accompagné d’un mélange de haussement de sourcils et d'épaules. Je la rejoins et on regarde ensemble. La sculpture est d’une couleur terreuse. Un beige un peu sali. On reconnaît une personne drapée au dos courbé (de l’effort ou de l’âge ?). Moi, j’y vois instinctivement un vielle femme. Elle grimace - c’est un sourire peut-être. La niche est complètement noircie, alors que la paroi, de nouveau, donne l’impression que c’est du bois mais c’est faux. C’est encore du stratifié, - je pense -, très brillant, plus brillant que le pupitre derrière nous, comme si une pellicule en plastique recouvrait l'ensemble, ce qui me fait penser à une coque de bateau. Je comprends aussi que cette paroi n’en est pas une réellement mais plutôt un grand tourniquet qui devrait pouvoir tourner sur son axe. Mais en pratique, ici, ça ne fonctionne pas car il a été placé au centre de cette ouverture de la taille d’une porte d'entrée. D’ailleurs, l’autre face de la paroi est du même noir que celui de la niche, mais là, je perçois mieux de quoi il s'agit. Ici le matériel semble tout aussi lisse, mais un motif géométrique recouvre l'ensemble de la surface. Ça ressemble à du camouflage pixelisé, mais alors de couleur noire et d’une texture aussi brillante que le stratifié mais plus rugueuse, abrasive même. A quelques pas de distance, j’imagine un mur de lierre en pleine nuit, mais d’une autre manière, je vois aussi une peau reptilienne. Je remarque que la pluie s’est intensifiée et que de petits grêlons frappent contre les vitres. Ça me surprend et ça me fascine parce que - aussi banal que ce soit - des grêlons, il n’en tombe pas si souvent. Mon attention se tourne alors entièrement vers l'extérieur, sur une vue qui donne sur l'arrière d’un bloc de maison, mais je n’arrive pas à bien comprendre si ce sont des habitations ou plutôt des hangars à cause de la condensation et des traits laissés par les gouttes d’eau sur les vitres des fenêtres. Cependant, le ciel est d’un gris profond, celui d’un orage, à peine ai-je réalisé cela que le flash blanc et furtif d’un éclair apparaît dans le coin de mon regard. Je tourne rapidement la tête vers l’endroit d’où est apparue cette lumière et quelques secondes après le grognement profond du tonnerre surgit, calmement, puis plus fort et s'arrête.

- 7 secondes ! Donc il est à deux kilomètres et quelque chose, nous dit Hanna.

On se regarde, chacun se souriant mutuellement, comme pour approuver l'information entre nous tous. Je trouve ça drôle que Hanna ait utilisé “il” pour parler du l’orage, et ça m'amuse d’imaginer l’orage comme un individu, avec une personnalité et des sentiments. Après un instant, je me retourne pour observer à nouveau le tourniquet et je me dis que je devrais prendre une photo de cette perspective sur l'entrée où cette chose étrange passe à travers. Je sors donc mon téléphone de ma poche et je le dresse devant moi, mais en l’allumant, je vois 6 appels manqués d’un numéro qui ne figure pas dans mon répertoire. Ça me déconcerte et ça doit se voir sur mon visage car Magali me dit :

- Ça va, Jacques ? Tu fais une de ces têtes.

Je mets un peu de temps à lui répondre, parce que je n'arrive pas à interagir avec l'écran tactile de mon téléphone et ça me distrait encore plus.

- Je sais pas ce qu’il a. Il doit bugger.

Toujours avec mon téléphone en main, j’essaye de comprendre qui veut me joindre à tout prix, et, à moitié conscient, je marche droit devant moi longeant le grand tourniquet pour me retrouver dans la salle voisine. Je rallume mon téléphone, maintenant je vois 8 appels manqués, toujours du même numéro.

L'écran reste figé, où plutôt bloqué sur la page d'accueil où je n'arrive toujours pas à faire glisser l’image pour l'ouvrir. En arrière-plan, un autre orage vient d'éclater et rugit dans la pièce. Il était plus fort que le premier, une partie de ma pensée se dit que l'orage s’avance donc vers nous. D’un regard furtif, je vois que dehors il fait sombre, il pleut des cordes et que la lumière, le ciel, tout semble menaçant. C’est dans cet instant un peu étrange, où je ne sais quoi faire avec ce téléphone, que mon attention se tourne vers des blocs en acier de couleur blanche et noire disposés en damier - ce qui me fait réaliser qu’il y en avait aussi dans la salle à côté. Ils me font penser à des fours, mais très simplifiés comme démontés jusqu'à leur strict minimum, jusqu’à leur base squelettique. Mais cette impression ne dure que quelques secondes, parce que je réalise que ça ne ressemble absolument pas à des fours. Ce sont des boîtes munies d’une porte vitrée, et derrière chacune d’elle, sur un plateau, un fin petit tapis noir de même taille y est déposé. Dessus, sur chacun des tapis, on peut y lire le même mot : FREE
















































Julien Jonas

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All you can hear is the gentle sound of rain coming from outside, echoing here in this place with its white walls illuminated by rows of TL lamps. We're the only ones here, which pleases me, and I have a feeling it pleases the others too. After a brief glance around, I first try to situate where I've just climbed up to. I try to remember if the place was laid out the same way last time. In fact, I'm not sure what I saw that time, on my own, and my mind freezes for a moment. I don't know how to put it in the right words, but this insignificant detail being reborn here, it's as if it only works this way, and that next time - well, without any other unknown visitors - I'll be alone again.

Then I get the impression that this wall to my right, on which hangs an framed image with figures, silhouettes of various sizes - in fact, the same group of four white silhouettes on a black background, reproduced several times in another dimension - that this wall wasn't there. But I wonder why I'm dwelling on that, rather than on the work we came here to do. And it's when I fully enter the room that I notice a large object behind this wall, centered at the beginning of this long space. My attention is finally drawn to the material. I walk around it once, then in the other direction. Arms crossed, I bring my gaze close to certain corners. I scroll through the form slowly, then raise my eyes to Martin and his blue GoreTex rain jacket. His arms are crossed and he's holding his chin. Behind me, I hear the faint rustle of a sheet of paper being turned over, and as I turn around, I see Hanna. She's holding a few sheets stapled together. We continue to move quietly around this object.

- I like the color, I say, addressing Hanna and Martin.

- Yes, me too, replies Hanna; but also the shape, the texture. And did you see underneath? You can see it's not real wood.

- It’s obvious at first glance, I think, says Martin. The wood pattern is too regular and obvious, too clean even. It just looks like wood, enough to persuade us , if we don't care.

- Tulip Pulpit. That's the title, says Hanna, and it says here that it's laminated wood.

It's a four-sided desk, exaggeratedly large, like a modernist, or rather constructivist structure, dark red in color. It looks like a utopian vision straight out of a Russian avantgardist's dream. Here, a single book takes pride of place: "Speech", by Rita McBride. It's the same one you'll find here and there in bookshops. The idea of leafing through it doesn't occur to me. The conditions are obvious, but no... It's Hanna who leafs through it, leaving it on the desk. With one hand, she turns two or three pages, stops on the fourth, seems to read - you can see it in her eyes - for a brief moment, then closes it again. She strokes the cover, follows the rectangular title with her index finger, then lightly touches the black exclamation mark, which is bathed in a silver monochrome. Martin, standing opposite of me, in the corner of this space, is shouldered against the wall by the window. He seems to be looking at the desk in its entirety, but he gives the impression that he's thinking about something else, or about lots of things at the same time. I have the impression that his gaze is crossing the desk, piercing through all the reality in front of him to imagine something else. Magali is behind us, a few meters from an opening into a neighboring room, from which I see a high, long, smooth, slightly swollen wall piercing through. At waist height, to the left of the wall, there's a niche where a small sculpture sits. Magali turns to me and smiles in amazement.

- What is it? she asks, in a slightly whispered or controlled voice, as if something must not be disturbed, like when you grope a creaky wooden floor to erase your presence.

I nod with an "I don't know" accompanied by a mixture of eyebrow and shoulder shrugs. I join her and we look together. The sculpture is an earthy color. A slightly dirty beige. We recognize a draped person with a bent back (from exertion or age?). I instinctively see an old woman. She's grimacing - a smile, perhaps. The niche is completely blackened, while the wall, once again, gives the impression that it's wood, but it's not. It's still laminate - I think - very shiny, shinier than the desk behind us, as if a plastic film were covering the whole thing, which makes me think of a ship's hull. I also understand that this wall isn't really a wall at all, but rather a large turnstile that should be able to rotate on its axis. But in practice, it doesn't work here, as it's been placed in the center of this door-sized opening. Incidentally, the other side of the wall is the same black as that of the niche, but here I have a better idea of what it's all about. Here, the material seems just as smooth, but a geometric pattern covers the entire surface. It looks like pixelated camouflage, but in black and with a texture as shiny as laminate, but rougher, even abrasive. A few steps away, I imagine a wall of ivy in the middle of the night, but in another way, I also see a reptilian skin. I notice that the rain has intensified and small hailstones are striking against the windows. This surprises and fascinates me because - as commonplace as it is - hailstones don't fall that often. My attention then turns entirely outside, to a view that looks out over the back of a block of houses, but I can't quite make out whether they're dwellings or sheds, because of the condensation and the lines left by the drops of water on the window panes. However, the sky is deep gray, that of a thunderstorm, and no sooner do I realize this than the white, furtive flash of lightning appears in the corner of my eye. I quickly turn my head towards the spot from which this light appeared and a few seconds later the deep growl of thunder erupts, quietly, then louder and stops.

- 7 seconds! So he is at two kilometers and something, says Hanna

We look at each other, each smiling, as if to approve the information between us all. I think it's funny that Hanna used "he" to refer to the storm, and it amuses me to imagine the storm as an individual, with a personality and feelings. After a moment, I turn around to look at the turnstile again and think I should take a photo of this perspective on the entrance where this strange thing is passing through. So I pull my phone out of my pocket and hold it up in front of me, but when I turn it on, I see 6 missed calls from an unregistered number. I'm confused, and it must be showing on my face, because Magali says to me:

- Everything alright, Jack? You're making such a face.

It takes me a while to answer her, because I can't interact with the touch screen on my phone, which distracts me even more.

- I don't know what's wrong with it. It must be buggy.

Still with my phone in hand, I try to work out who's trying to reach me at all costs, and, half-conscious, I walk straight ahead along the large turnstile to the next room. I turn my phone back on, now seeing 8 missed calls, again all from the same number. The screen remains frozen, or rather stuck on the home page where I still can't drag the image to open it. In the background, another thunder has just broken out, roaring across the room. It was louder than the first, and part of my mind tells me that the storm is moving towards us. With a furtive glance, I see that it's dark outside, it's raining cats and dogs and the light, the sky, everything looks threatening.

It's in this strange moment, when I don't know what to do with the phone, that my attention turns to some black and white steel blocks arranged in a checkerboard pattern - which makes me realize that there were some in the next room too. They remind me of ovens, but very simplified, as if dismantled down to their bare skeletal base. But this impression only lasts a few seconds, as I realize that they don't look like ovens at all. They're glass-door boxes, and behind each one, on a tray, a thin black mat of the same size is laid out. On the top of each mat we can read the same word: FREE
















































Julien Jonas

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