PLATTEAU, GROUPE THEATRAL
JOSEPH KUSENDILA
WIELS
BRUSSELS June 7th - August 11th
Dans la rue où j’habite, une communauté évangélique latino prêche ses messes dans un rez-de-chaussée pas plus grand qu'un night shop. L’espace a un sol carrelé et des murs blancs, un plafond avec des lampes au néon, et les gens sont assis en rangs sur des chaises pliantes grises. C’est du moins ce que j'aperçois furtivement par la porte d'entrée vitrée. Le reste de la devanture est occultée par un rideau blanc. Mais d’habitude, quand je passe devant, c’est un rideau métallique, - sur lequel est écrit: ÉGLISE LA LUMIÈRE DU MONDE -, qui clôt l’espace. Un autre jour, chacun des rideaux était relevé et l’espace à voir était vide, seule une table se tenait au fond (peut-être celle-ci était-elle utilisée pour l’autel) et au-dessus un écran de télé était fixé au mur. Un journal ou une émission de télévision passait sur l'écran et des commentaires défilaient en dessous sur une bannière rougeâtre et brillante. L’an dernier, pour une quelconque raison, j’ai retranscrit pour une maigre paye plusieurs dialogues entre une chercheuse et des prêtres. Son sujet portait sur les relations internes entre les différentes communautés religieuses de Bruxelles. Les évangéliques sont, selon certaines personnes interrogées, un groupe avec lequel il est difficile de tisser des liens. Ils insinuent cela comme une relation complexe : comme s'il y avait un mur invisible et impénétrable qui les maintenait à distance. Par ailleurs, certaines de ces petites églises évangéliques déménagent sans laisser savoir où elles sont parties. Ceci peut s'expliquer en partie par leur fonctionnement : intime, communautaire, généralement dans des espaces loués, donc soumis à des situations précaires, mais aussi à la méfiance laïque et xénophobe. En retour, elles se méfient elles aussi des non-affiliés. Elles se méfient de l'extérieur et restent discrètes, optant pour une apparence non ostentatoire.
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Lorsque l’on prend le grand ascenseur au WIELS pour monter au premier étage, les grandes portes coulissantes s'ouvrent sur une autre porte, double et fermée. C’est derrière cette porte que se déroulent
habituellement les expositions. L'antichambre à laquelle nous somme restreint, où d'habitude se trouve le grand texte d'introduction, accueille désormais deux pièces : 100 000 et Le Complexe du peintre de Joseph Kusendila. Une vitrine en bois de Tikal (sapotillier) posée sur une planche cartonnée surélevée par deux tréteaux en métal noir et un petit banc d’assise en bois de chêne fini à la cire d’abeille, mais également avec de la peinture à l’huile, et renforcé d’équerres en acier. Ces détails sont énumérés sur une feuille A4, clouée derrière une plaque de verre du même format, qui se trouve directement à gauche de l'ascenseur et au-dessus du bouton d'appel. Sur cette liste est aussi référencée une troisième pièce : Verre Cathédrale, visible uniquement à l'extérieur du bâtiment, sur les fenêtres du premier étage qui contourne la façade Est, Sud et Ouest. Les vitres ont été recouvertes d’un film à effet miroir ce qui de loin, les distingue des vitres des autres étages du bâtiment, et de plus près accentue la texture des verres martelés. Dans le court couloir qui mène vers les escaliers, deux autres feuilles A4 sont présentées, également clouées derrière des plaques de verre. La première donne les dates pour voir le film de Joseph Kusendila : Groupe Theatral, à la CINEMATEK, l’autre montre deux photos de plans d'étages brouillées, ou plus exactement brûlées par un flash de lumière. Ces plans me semblent n’avoir ici aucune autre fonction que leur simple présence, mais sous une forme devenue inutilisable, informe, ce qui me fait penser à ce qu’a écrit Jacqueline Lichtenstein sur la couleur et la lumière, et que si tout objet était illuminé de la même façon, il y aurait une terrible confusion en toutes choses ; sans ombres, tout paraîtrait plat, même les corps les plus ronds. Ce qui me fait ensuite penser à ce que Godard disait dans Chambre 666 à propos de l’invisible qui est ce qu’on ne voit pas, tout comme l’incroyable, et que le cinéma, c’est montrer l’incroyable, et c’est ce qu'on ne voit pas. Une carte est censée montrer et confirmer une réalité établie, mais ici, la lumière éblouit pour faire disparaître ce contenu, pour l'effacer du champ. Sans ombre, la lumière ne peut que rendre invisible.
En dehors de la grande salle d'exposition (bien qu'à l'intérieur du complexe institutionnelle) que j'imagine vide (ou qui m'oblige à l'imaginer), la vitrine en bois située juste devant les portes devient une maquette fortuite de ce à quoi je suis confiné. Plus tard, un ami emploiera justement le mot “maquette” au sens propre pour en parler, comme s’il n’y avait aucun doute sur le rôle de l’objet : celui d’être l'échelle réduite d’un vide, mais où toute lumière peut pénétrer, et comme toutes les serres, chaque été, s'alourdissent en chaleur. Ce présentoir vide - copie de ceux utilisés sur les marchés d'Afrique de l'Ouest pour vendre des bijoux ou des téléphones - a pour base une planche de couleur noir, où des traces de doigts suggèrent que son contenu a été retiré. Deux scénarios me viennent à l’esprit : tout a été vendu. Ou bien, tout a été volé. Et dans le deuxième cas, son cambrioleur a eu assez de clémence pour faire son coup sans briser le verre, et surtout, pour avoir refermé la petite porte derrière lui. Bien qu’il n’y ait aucune valeur à surveiller, le vigile n’a pas quitté son poste. Sur place, le gardien de musée, aligné avec 100 000 et le complexe du peintre, assis sur son tabouret, observait l’un après l’autre mes déplacements et son téléphone. Dans un autre couloir longeant l'ascenseur principal, une porte était laissée grande ouverte, menant à une pièce où les gardiens déposent leurs affaires. Il y a un réfrigérateur, une cafetière, quelques tables et d'autres objets que je n'ai pas eu le temps de reconnaître. J'ai hésité à demander au gardien si cette porte ouverte faisait partie du reste. Entre-temps, un autre gardien arrivait par l'escalier, il entra dans la pièce pour récupérer ses affaires tout en saluant son collègue. Sur le point de partir, il recule et demande à l'autre gardien : “La porte, on peut la fermer ?”. Le gardien ne lui répondit rien, sur quoi il ajouta ; “Je la ferme, ça rend mieux je trouve.”
Une autre porte, battante et noir, qui appartient à la petite salle de projection au sous-sol de la CINEMATEK, projette, plusieurs dimanches consécutifs et à chaque fois à 17h15, son court-métrage : Groupe Theatral. Le film s’ouvre sur un monochrome blanc, puis le titre, les noms des acteurs, puis sur un portail fermée peint en noir. Les 20 minutes suivantes montrent la vie quotidienne qui s'infiltre dans un cadre statique qui fixe le portail. Parfois, des personnes entrent ou sortent par une plus petite porte de ce même portail. Ils sont en tenue de travail, certains portant des sacs de ciment sur leurs épaules. Ensuite on voit la scène de nuit. Le matin, quelqu'un chantonne hors champ. Plus loin, le portail s'ouvre complètement ou à moitié pour laisser passer une voiture. Elle reste là pour un entretien. Le capot est grand ouvert, face à la caméra, le moteur gronde, bouge, tourne, et là je me demande s'il n'y a pas un lien entre le mot “entretenir” et le mot anglais “entertain” qui signifie “divertir”.
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- Mais Dieu a choisi les choses folles du monde pour confondre les sages; Dieu a choisi les choses faibles du monde pour confondre les fortes; et Dieu a choisi les choses viles du monde et celles qu'on méprise, celles qui ne sont point, pour réduire à néant celles qui sont (...)
- “Quand c'est gratuit, on ne se plaint pas", ou peut-importe la manière qu’on le dit.
Julien Jonas
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In the street where I live, an evangelical Latino community preaches their mass on a ground floor no bigger than a night shop. The space has a tiled floor and white walls, a ceiling of neon lights, and people sit in rows on gray folding chairs. At least, that's what I catch a fleeting glimpse of through the glass front door. The rest of the storefront is obscured by a white curtain. But usually, when I walk past, it's a metal curtain with the words ÉGLISE LA LUMIÈRE DU MONDE (Church the light of the world) written on it, which closes off the space. Another day, each of the curtains was raised and the space showed itself empty, with only a table at the back (perhaps the one used for the altar) and a TV screen fixed to the wall above. A newspaper or TV program was playing on the screen and commentaries scrolled below across a shiny, reddish banner. Last year, for whatever reason, I was transcribing several dialogues between a researcher and some priests for a meager salary. The researcher's subject was the internal relations between Brussels' various religious communities. Evangelicals, according to some interviewees, are a difficult group to forge a bond with. They insinuated it as a complex relationship, as if there was an invisible, impenetrable wall keeping them at distance. Also, some of those small evangelical churches move without notice, and this is partly due to their functioning: intimate, community based, generally in rented spaces, therefore subject to precarious situations, and also to secular and xenophobic mistrust. In return, they too, distrust non-affiliated. They distrust the exterior and remain discrete, opting for non ostentatious looks.
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When you take the big elevator at Wiels up to the second floor, the large sliding doors open onto another, closed double door. It's behind this door that the exhibitions normally take place. The antechamber with which you're now obliged to make do, where you'd normally encounter a large introductory text, is home to two pieces; 100,000 and Le Complexe du Peintre by Joseph Kusendila. A display case in Takali wood set on a cardboard board raised by two black metal trestles, and a seat in oak varnished with beeswax, painted in oil and reinforced with steel squares. These details are listed on an A4 sheet, nailed behind a glass plate of the same format, which is located directly to the left of the elevator above the call button. The list of works also includes a third piece, Verre Cathédrale, visible only on the outside of the building on the first-floor windows - which run around the east, south and west facades. The windows have been covered with mirror-effect film, which makes the floor in question stand out from the building and accentuates the texture of the hammered glass. In the short corridor leading to the stairs, two other A4 sheets are presented, also nailed behind glass sheets. The first gives the dates to see Kusendila’s film; Groupe Theatral, at the CINEMATEK, the other shows two blurred pictures of floor plans, or more accurately, burned by a flash of light. To me, those maps seem to have no function here other than their mere presence, but in a form that has become unusable, shapeless, which makes me think of what Jacqueline Lichtenstein wrote about color and light, and that if all objects were illuminated in the same way, there would be a terrible confusion in all things; without shadows, everything would appear flat, even the roundest bodies. Which then makes me think about what Godard said in Chambre 666 about the invisible being what we don't see, just like the unbelievable, and that cinema is about showing the unbelievable, and that's what we don't see. A map is meant to show and confirm an established reality, but here instead, the light dazzles to make this content disappear, to erase it from the field. Shadowless, light can only render invisible.
Outside the large showroom (albeit within the institution's complex), which I imagine to be empty (or which forces me to imagine it), the wooden display case just outside the doors becomes a fortuitous model of what I'm confined to. Later on, a friend of mine would use the word "maquette" literally to refer to it, as if there were no doubt about the object's role: that of being the reduced scale of an emptiness, but where any light can penetrate, and like all greenhouses every summer, become weighed down with heat. This empty display stand - a copy of those used in West African markets to sell jewelry or telephones - has as its base a black colored board, where fingerprints suggest its emptying. Two scenarios come to mind: everything has been sold, or it's all been stolen. And in the second case, the burglar was kind enough to make his move without breaking anything, and above all, to have closed the small door behind him. Despite the fact that there are no valuables to watch out for, the guard didn’t leave his post. While there, the museum guard, lined up with 100,000 and Le Complex du Peintre, and seated on his stool, watched one after the other my movements and his telephone. In another corridor running alongside the main elevator, a door was left wide open, leading to a room where the guards deposited their belongings. There was a fridge, a coffee maker, some tables and other objects I didn't have time to recognize. I hesitated to ask the guard if this open door was part of the set. Meanwhile, another guard had arrived by the staircase and entered the room to collect his belongings, greeting his colleague. About to leave, he stepped back and asked the other guard, "Can we close the door? The guard didn't reply, so he added; "I'll close it, it looks better I think.”
Another door, swinging and black, belongs to the small projection room in the basement of the CINEMATEK, which screens several consecutive Sundays, each time at 5.15pm, its short film; Groupe
Theatral. The film opens on a white monochrome, then the title, the actors' names, then on a closed gate
painted black. The next 20 minutes show the daily life seeping through a static frame fixed on that gate.
Sometimes people enter or leave through a smaller door in that same gate. They are dressed in work
clothes, some carrying bags of cement on their shoulders. Then we see the scene at night. In the morning, someone sings off-camera. Further on, the gate opens fully or half-open to let a car in. It remains there for maintenance. The hood is shown wide open, facing the camera, the engine rumbling, moving, spinning, and here I wonder if there's a link between the word 'entertain' and the French word ‘entretenir’ which means ‘maintain’.
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- But God chose what is foolish in the world to shame the wise; God chose what is weak in the world to
shame the strong; God chose what is low and despised in the world, even things that are not, to bring to
nothing things that are (...)
- “When it's free, you don't complain", or however you want to put it.
Julien Jonas
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